« 30 juin au doux soleil, jour sacré soit le témoin » (extrait hymne national) ou le début d’une décennie d’espoir et de tâtonnement. L’indépendance du Congo est apparue comme une opération de liberté et de prospérité. Une nouvelle page d’histoire commence à s’écrire.
Mais les « alliés » occidentaux, dont la Belgique au premier plan, ne sont pas loin et veillent afin de conserver une série de prérogatives et de garder une certaine mainmise sur la situation et les nouveaux dirigeants. De plus, l’indépendance ne tardera pas à s’enliser dans les clivages politiques. Les rivalités entre leaders, entre « évolués » et « ruraux » s’accentueront dans la lutte pour la définition de la ligne fondamentale à donner au pays et aux institutions.
Les événements iront tellement vite qu’en moins de cinq ans, le Congo sera considéré comme un cancer dont souffrirait l’Afrique, des sécessions et des rébellions se déclenchant partout dans le pays.
SÉCESSIONS KATANGAISE et KASAÏENNE
Alors qu’à Léopoldville et dans d’autres villes c’est la débâcle, Moïse Tshombé proclame le 11 juillet 1960 la sécession du Katanga. Appuyé par les grandes sociétés dont l’Union Minière et la Belgique qui envoie des soldats, Tshombé s’autoproclame Président du Katanga et forme un gouvernement.
De son côté, le 8 août 1960, Albert Kalonji, un dissident du MNC, annonce l’indépendance du Sud-Kasaï et s’autoproclame « Mulopwe », c’est-à-dire Empereur.
Lumumba et Kasa-Vubu sillonnent le pays pour tenter de maîtriser la situation, et appellent les Nations Unies à intervenir pour agir contre « l’agression extérieure » par l’envoi de casques bleus, et renvoyer les troupes belges présentes au Katanga.
ASSASSINAT DE LUMUMBA
Vers la fin août 1960, le Premier Ministre Lumumba lance dans la précipitation l’armée congolaise au Katanga et Sud-Kasaï pour mater les rébellions. Mais dans la province diamantifère, l’équipée de l’armée nationale se transforme en massacre de civils.
Le 5 septembre, le Président Kasa-Vubu, poussé par les Occidentaux qui voient en Lumumba un relais communiste et souhaitent sa « neutralisation », annonce la révocation de Lumumba à la radio. Le même soir, le Premier ministre parle à trois reprises sur la même antenne que le Président, et déclare que Joseph Kasa-Vubu n’est plus le chef de l’Etat.
La confusion est totale. Le 14, le colonel Mobutu, chef d’Etat-major de l’armée et ami de Lumumba, prend le pouvoir afin de « neutraliser » les deux rivaux. Mais l’opération tourne à l’avantage de Kasa-Vubu. Lumumba est assigné à résidence mais réussit à s’enfouir dans la nuit du 27 novembre 1960 et tente de rejoindre Stanleyville par la route.
Le 2 décembre, l’armée l’arrête au Kasaï. Ramené à Léopoldville, il est ensuite enfermé dans un camp militaire de Thysville, au Bas-Congo où il sera torturé avec ses compagnons d’infortune Okito et Mpolo. Avant d’être expédiés au Katanga le 17 janvier 1961 où ils seront fusillés et leurs corps dissous dans de l’acide sulfurique, suite aux injonctions étrangères principalement belges et américaines.
CONCLAVE DE LOVANIUM
En juillet 1961, le conclave organisé sous les auspices des Nations Unies à l’université de Lovanium, auquel participent les différents mouvements sécessionnistes et le gouvernement central, se termine par la désignation de Cyrille Adoula comme Premier Ministre à la tête d’un gouvernement d’union nationale dans lequel toutes les tendances politiques sont représentées.
Antoine Gizenga occupe le poste de Vice-Premier ministre. En 1962, après une nouvelle tentative de sécession à Stanleyville, Antoine Gizenga est arrêté et emprisonné. Ses partisans réclament sa liberté et enflamment les foules. Kasa-Vubu décide alors de dissoudre le Parlement en septembre 1963.
Les lumumbistes se coalisent à Brazzaville et forment le Conseil de Libération du Congo (CLC) avec comme objectif de renverser le gouvernement Adoula et de destituer Kasa-Vubu. Pierre Mulele, de tendance marxiste et nationaliste, déclenche, depuis le Kwilu, une lutte armée sous la forme d’une guérilla pour prendre le pouvoir et dont ses adeptes « les mulelistes » se font connaître pour leur cruauté et l’engagement d’enfants dans leurs troupes.
De son côté, une autre rébellion lumumbiste « les simbas » conduite par Christophe Gbenye se manifeste en avril 1964 à l’est du pays. Il installe son état-major à Stanleyville (Kisangani) où il se proclame Président de la République Populaire du Congo, le 5 août 1964.
Avec l’appui de l’OTAN, l’armée congolaise met en échec toutes ces tentatives lumumbistes et sécessionnistes. En janvier 1963, la sécession katangaise prend fin et Tshombé s’exile en Europe. Après quelques mois d’exil, il revient à Léopoldville en juin 1964 où il est accueilli par Mobutu, Adoula et Kasa-Vubu dans le cadre d’une réconciliation nationale. En juillet, il est nommé Premier Ministre en remplacement de Cyrille Adoula.
GOUVERNEMENT DE TSHOMBÉ et COUP D’ETAT DE MOBUTU
Le repli stratégique de Tshombé dicté par l’échec du pouvoir de Kasa-Vubu le ramène au pouvoir à Léopoldville en tant que Premier ministre du gouvernement d’union nationale et de salut public. Dès son investiture, Tshombé s’entoure de conseillers belges et s’accorde dans son discours à redresser le Congo en un temps record.
Sa capacité à convaincre, ses moyens financiers et surtout son potentiel humain (mercenaires et gendarmes katangais) lui permettent en moins d’une année d’engager une action de pacification à travers le pays. Ainsi, les rébellions sont liquidées une à une et le calme réinstauré.
Cette situation rend possible la reprise du jeu démocratique des institutions : la constitution dite de Luluabourg est adoptée par référendum le 1er août 1964 en remplacement de la loi fondamentale de 1960 avec comme conséquence l’organisation d’élections législatives au cours du premier semestre de 1965.
Désormais, le pays s’appelle République Démocratique du Congo. Mais à l’approche des élections présidentielles prévues en 1965, les relations se détériorent entre Kasa-Vubu et Tshombé. Kasa-Vubu voit en effet la popularité de son Premier Ministre lui faire de l’ombre. De fait, lors du scrutin législatif de mai/juin 1965, la CONACO de Tshombé obtient 122 des 167 sièges au Parlement.
Dans la précipitation et l’incertitude, Kasa-Vubu décide d’évincer son puissant rival. Il démet le gouvernement Tshombe et nomme Evariste Kimba comme formateur. Le colonel Mobutu, qui est au centre de toute cette machination, poussant Kasa-Vubu à la dérive et Kimba au suicide, se prépare avec la bénédiction des puissances occidentales à prendre le pouvoir, un mois après ce carambolage politique. Si Tshombé accepte son éviction par Kasa-Vubu pour se préparer aux élections présidentielles, le Parlement, quant à lui, refuse la nomination d’Evariste Kimba.
Une fois encore, les instances dirigeantes sont neutralisées et le pays sombre dans l’anarchie politique. Du côté belge on s’inquiète également vivement de l’éviction de Tshombé pour la sécurité des ressortissants belges. Dans la nuit du 24 au 25 novembre 1965, le haut commandement militaire s’empare du micro de la presse nationale et annonce la prise du pouvoir par l’armée. Sans effusion de sang, le colonel Mobutu est chargé d’assumer les prérogatives de chef d’Etat. Kasa-Vubu est assigné à résidence, puis exilé à Boma où il meurt en 1969. Tshombé s’exile en Espagne d’où il sera enlevé en 1967, puis emprisonné en Algérie où il meurt également en 1969.