QUELQUES RÉFORMES
A partir de 1946 commencent à naître les associations de type professionnel ou syndical. Quelques Congolais cooptés par l’administration coloniale siègent aux conseils de province. Le statut d’« évolué » est instauré pour amener les Congolais à vivre et à se comporter comme les Blancs. L’expansion économique est spectaculaire, la production industrielle augmente d’environ 14% par an. Les campagnes se vident aux bénéfices des centres miniers et agricoles autour desquels se développent des villes naissantes.
L’organisation de l’école achève d’exiler des tranches importantes de la population rurale. Cette situation finit par provoquer une crise profonde dans les milieux ruraux et coutumiers. Au milieu de la décennie 1950, alors que le Congo vit une période économique et sociale florissante, plusieurs facteurs déterminent son évolution.
En 1955, le Roi Baudouin visite le Congo au moment où tout se bouscule dans la métropole. Le professeur Jef Van Bilsen publie le « Plan de trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge ». Ce plan suscite des réactions diverses tant à Bruxelles que dans la colonie. Il est souvent purement et simplement dénoncé comme une élucubration de professeur d’université.
Pour les Congolais, l’indépendance n’est qu’un lointain rêve tandis que la Belgique, contrairement à la France de de Gaulle, n’entrevoit même pas la possibilité d’une émancipation de la colonie. Toutefois, ce Plan est entrevu comme une brèche dans la politique coloniale belge et sert de catalyseur à plusieurs mouvements d’émancipation, notamment l’association culturelle des Kongo, mieux connue sous le nom d’Abako avec en tête de file un certain Joseph Kasa-Vubu, futur Président du Congo indépendant.
En 1956 paraît « Le Manifeste de la Conscience Africaine » publié par Joseph Ngalula, Joseph Ileo et Cyrille Adoula, des jeunes catholiques proches de l’abbé Joseph Malula, futur premier cardinal congolais et archevêque de Kinshasa. Le manifeste épouse les thèses de Van Bilsen sans toutefois faire allusion au délai. L’Abako réagit par contre plus énergiquement : il réclame l’indépendance immédiate. Il faudra alors faire vite pour les Belges, qui lâcheront quelque peu du lest pour ne pas perdre totalement le contrôle de la situation. Avec comme conséquences l’organisation d’élections dans certaines villes du Congo (1957), le développement de l’immatriculation des évolués et la reconnaissance des libertés fondamentales.
PREMIÈRES ÉLECTIONS
En 1956 déjà, la publication de manifestes, de la conscience africaine d’une part et de l’Abako d’autre part, engage le Congo dans un processus irréversible vers l’autonomie ou l’indépendance. Parallèlement un débat est ouvert sur l’introduction des partis politiques au Congo, sous l’influence de partis politiques belges.
On note par ailleurs que les Congolais n’ont plus confiance dans les conseils consultatifs en tous genres auxquels ils participent. Ils sont las d’émettre des vœux auxquels on ne donne jamais suite, de voir leurs propositions modifiées complètement sans en être avisés, leurs desiderata rejetés sans qu’on leur donne de raison autre que le fait du prince.
Les choses bougent et se bousculent entre les catholiques, les libéraux et les socialistes belges qui tentent de maintenir une certaine influence sur l’élite congolaise. En décembre 1957, l’administration coloniale organise les premières élections au Congo Belge. Certes, il ne s’agit encore que d’élections communales limitées à trois agglomérations, à savoir : Léopoldville (Kinshasa), Elisabethville (Lubumbashi) et Jadotville (Likasi) divisées en communes correspondant à des arrondissements peuplés soit d’Européens, soit d’Africains.
En fin de compte, bien qu’il ne fut pas permis aux partis de participer en tant que tels aux élections communales de 1957, les socialistes et les catholiques, par le truchement des syndicats et des cercles politiques, cherchèrent à favoriser les candidats qui avaient leurs sympathies, mais les naïves illusions de ce paternalisme politique se dégonflèrent rapidement.
En effet, il y avait un seul élu par canton électoral, ce qui permit au groupe qui avait la majorité relative d’emporter un maximum de sièges : à Léopoldville, l’Abako qui représentait essentiellement la population kongo, obtint 133 sièges sur 170 dans les communes africaines avec 46% du total des voix, et la majorité dans six conseils communaux africains sur huit.
Joseph Kasa-Vubu, président de l’Abako, et futur premier Président du Congo, est intronisé comme bourgmestre de la commune de Dendale (un arrondissement de Léopoldville) le 20 avril 1958.
EMEUTES DU 4 JANVIER 1959
En août 1958, le Général de Gaulle déclare à Brazzaville que la France ne s’opposera pas à l’indépendance du Congo-Brazzaville. En décembre de la même année, le leader ghanéen Kwame Nkrumah déclare lors de la Conférence Panafricaine organisée à Accra que tous les pays africains ont droit à l’indépendance.
Parmi les délégués présents à la conférence, on trouve Patrice Lumumba, futur Premier Ministre, qui représente le Mouvement National Congolais (MNC) créé par une dizaine d’indépendantistes. Dès son retour d’Accra, Patrice Lumumba canalise par des discours simples, parfois populistes, les foules qui se rassemblent à l’appel du MNC.
De son côté, la Belgique met en place un groupe de travail autonome dans la colonie pour évaluer la situation. Les conclusions des experts préconisent la voie de l’émancipation. Le 4 janvier 1959, le rassemblement prévu par l’Abako est interdit.
La foule proteste, les autorités répliquent et c’est le début d’une vaste émeute populaire qui restera gravée dans les annales de l’histoire du pays. Ce jour dédié aux martyrs de l’indépendance est célébré chaque année sur toute l’étendue du territoire national. Des voitures furent incendiées, des magasins pillés. Il fallut six jours aux autorités pour reprendre le contrôle de Léopoldville. On déplora des morts et plusieurs blessés.
A la suite de ces incidents, l’Abako fut dissoute par l’administration coloniale et Joseph Kasa-Vubu emprisonné. Le mouvement fut toutefois réhabilité en juin. Le 13 décembre 1959, le Roi Baudouin annonce solennellement que la Belgique veut conduire le Congo à l’indépendance et le gouvernement belge annonce la tenue d’une « Table ronde » à Bruxelles pour négocier les termes de l’indépendance.
TABLE RONDE DE BRUXELLES
Le 20 janvier 1960, autour des ministres et députés belges se retrouvent les délégués des partis politiques les plus en vue au Congo comme le MNC de Lumumba, l’Abako, le PSA, le Cerea et la Conakat (Confédération des associations du Katanga) de Moïse Tshombé ainsi que certains chefs coutumiers.
Parmi les participants congolais, on retrouve notamment Patrice Lumumba, Joseph Kasa-Vubu, Cléophas Kamitatu, Jean Bolikango, Moise Tshombé et Albert Kalonji. D’entrée de jeu, les intervenants congolais font front et prennent les Belges par surprise en insistant sur la fixation de la date de l’indépendance, qui est finalement arrêtée au 30 juin 1960 à l’issue de la conférence le 20 février.
Les dés sont jetés, il est temps pour la Belgique selon la formule consacrée de remettre les clefs de la maison Congo aux Congolais. Ce qui se fera en l’espace de quelques mois dans une certaine confusion et précipitation. Cette table ronde politique sera suivie quelque temps après d’une seconde table économique qui se déroulera en l’absence des principaux leaders congolais, alors en pleine campagne avant les élections générales de mai.
LOI FONDAMENTALE
La conférence de la Table ronde de Bruxelles adopte également les principes de la loi fondamentale congolaise et l’organisation structurelle du futur Etat. Le 19 mai 1960, le parlement belge vote cette « loi fondamentale », c’est-à-dire la constitution qui va régir le Congo indépendant. Elle institue ses structures sur le modèle belge.
Le Congo indépendant devient ainsi un Etat unitaire, basé sur une démocratie représentative, avec un système bicaméral dirigé par un président désigné par les deux chambres constituant le parlement central de Léopoldville.
Les élections législatives sont organisées au mois de mai 1960.
Le 24 juin, à l’issue d’un vote au parlement, Joseph Kasa-Vubu est élu chef de l’Etat et devient le premier Président de la République. Patrice Lumumba, leader de la majorité parlementaire, occupe le poste de Premier Ministre et chef du gouvernement. Il forme son gouvernement avec trente-cinq membres dont six issus du MNC, ce qui donne un parlement national très divisé avec pas moins de huit autres partis ayant de douze à vingt parlementaires.
INDÉPENDANCE
L’indépendance est donc proclamée à Léopoldville le 30 juin 1960 par le Roi Baudouin, en présence de Joseph Kasa-Vubu en sa qualité de Président, et de Patrice Lumumba en tant que Premier ministre. Celui-ci prononce à cette occasion et à la surprise générale, un discours resté célèbre et jugé provoquant, dénonçant les mauvais traitements infligés aux Congolais sous la colonisation, ce qui provoquera la colère des Belges.
Cinq jours plus tard, les soldats de la nouvelle armée congolaise, héritière de la Force Publique, se mutinent suite à l’opposition d’officiers belges, dont le général Janssens, à l’africanisation de l’armée. Et le 11 juillet la province du Katanga fait sécession, plongeant le nouvel Etat dans un chaos qui allait durer trois ans, avant bien d’autres crises et conflits…