Après cinq années de guerre civile ponctuées par l’assassinat de Patrice Lumumba, les sécessions katangaise et kasaïenne, le retour de Tshombe à Léopoldville à la tête du gouvernement d’union nationale et de salut public, Mobutu, alors colonel, s’empare du pouvoir par un coup d’Etat (1965) et instaure un régime présidentiel autoritaire qui durera jusqu’en 1997. Ce qui donnera naissance à la deuxième République.
MOBUTU, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Le haut commandement prend le pouvoir dans la nuit du 24 novembre 1965. Il est composé de plusieurs officiers (« les compagnons de la révolution ») sous le commandement du colonel Joseph Désiré Mobutu, chef d’état major général de l’armée nationale congolaise qui devient Président de la République avec la promesse de rendre le pouvoir en 1970, après des élections démocratiques.
Il nomme le général Léonard Mulamba en qualité de Premier Ministre. A la surprise générale, Mobutu s’octroie des pouvoirs étendus. Il suspend la constitution et décrète l’interdiction des partis politiques. Le 30 novembre 1965, il signe une ordonnance qui lui attribue des « pouvoirs spéciaux » et le 22 mai 1966, il s’accorde les « pleins pouvoirs ». Le 26 octobre de cette même année, il évince Mulamba et devient de fait également premier ministre.
En 1970, comme promis, Mobutu autorise des élections présidentielles qui consacreront assez logiquement sa victoire, en tant que seul candidat en lice. Le régime de Mobutu se muscle graduellement pour devenir un pouvoir autoritaire, s’appuyant sur la terreur selon une tactique bien établie. C’est ainsi que de nombreux prétendus complots sont orchestrés par Mobutu, lui permettant de se débarrasser de soi-disant conjurés qui en veulent à l’Etat.
En 1966, le « complot de la Pentecôte » sert Mobutu pour l’exécution publique de quatre anciens dignitaires politiques dont Evariste Kimba. En 1978, treize officiers sont condamnés à la peine capitale et exécutés en dépit des interventions de la communauté internationale.
RÉVOLUTION COMPARAISON
A l’aube de la décennie 1970, les cours des matières premières sont très hauts avec le plein emploi en Europe occidentale pour cause de reconstruction dans l’après-guerre. Cela permet aux pays producteurs de matières premières de réaliser de juteuses affaires.
L’abondance des ressources naturelles du Congo le pousse sous l’instigation de son nouveau président mégalo dans ce qui sera qualifié de « Révolution comparaison » : une sorte de défi se traduisant par de grands travaux prenant modèle ailleurs, dans un but de prestige et pour impressionner. Toutes les folles dépenses et grandes réalisations (barrage d’Inga, sidérurgie de Maluku, les mines de Tenke-Fungurume…) se situent à cette époque-là.
Ayant goûté au pouvoir suprême qu’il avait pris cinq ans auparavant, Mobutu et ses acolytes ne sont plus disposés à assurer le changement promis. D’ailleurs, pendant les cinq années de pouvoir, le fonctionnement du régime a été organisé de sorte que tous les contre-pouvoirs soient écartés (les pseudos complots déjoués, les réformes monétaire et constitutionnelle adoptées…).
Le congrès extraordinaire du MPR tenu à Nsele en mai 1970 désigne le président-fondateur du parti comme candidat unique aux élections présidentielles prévues au cours du second semestre de la même année. A partir de là, les esprits avertis ne se font plus d’illusions sur les ambitions et les objectifs réels de celui qui s’était présenté en 1965 comme le libérateur : Mobutu tient à se maintenir au pouvoir. Il écarte de l’armée ceux-là même qui l’avaient aidé à prendre le pouvoir. Élu en 1970 avec 99,99 % des suffrages exprimés, le Président Mobutu constitue le bureau politique du MPR qui désigne à son tour les futurs députés. Ces derniers votent la loi sur l’institutionnalisation du MPR.
MOUVEMENT POPULAIRE DE LA RÉVOLUTION (MPR)
Bien vite, le MPR s’identifie à l’Etat, à l’image des structures politiques des anciens pays communistes. Toutes les structures du pays fonctionnent sous son contrôle et tout Zaïrois est par définition membre du parti. D’autre part, l’excès de militantisme dans le parti est récompensé par toutes sortes de promotions.
Le MPR devient une arme de propagande de l’Etat et un prétexte à la confiscation des entreprises privées pour l’enrichissement personnel de quelques parvenus du régime.
Confondu avec l’Etat, le parti développera toute une série d’instruments de propagande : concours de la chanson révolutionnaire, spectacles à la gloire du régime où des centaines de personnes défilent et dansent, rituels comme le salut au drapeau national (initialement l’emblème du MPR) accompagné du chant de l’hymne national « la Zaïroise », etc. Avec l’adoption de l’institutionnalisation du MPR, le parti devient la seule institution du pays. Les autres institutions politiques (parlement, gouvernement, etc.) deviennent de simples organes du parti.
Du fait de ces aménagements, la constitution de juin 1967, dite révolutionnaire, se vide de sens. Le bureau politique s’attellera alors à la façonner à l’image du Guide de la révolution.
LES 3 Z et LE RECOURS À L’AUTHENTICITÉ
Le 27 octobre 1971, une nouvelle page est ouverte pour le pays. Sur décision du bureau politique du MPR, le pays change de nom et devient République du Zaïre, le fleuve Congo devient fleuve Zaïre tandis que la monnaie qui s’appelait déjà Zaïre en 1967 lors de la réforme monétaire, complète la boucle pour consacrer ce qui est désormais appelé « les 3 Z ».
En 1972, Mobutu lance la politique de recours à l’authenticité. Avec l’instauration de cette nouvelle politique, le régime provoque une rupture totale avec les connotations coloniales et étrangères, et prône désormais l’africanisation des mœurs par le nationalisme zaïrois.
Le drapeau est également changé (emblème du MPR) et l’hymne national devient « la Zaïroise ». Mais le recours à l’authenticité ne n’arrête pas à ces symboles de la nation. Tout un programme social et politique est également mis en place.
Le calendrier des fêtes officielles est modifié. Les fêtes religieuses sont supprimées, tandis qu’est instauré un nouveau calendrier de jours fériés comme la journée de la jeunesse, le 14 octobre, jour anniversaire de Mobutu. La journée des parents et des morts est fixée au 1er août.
Le cours de religion est supprimé et remplacé par un cours de civisme dont le programme est rédigé par les instances dirigeantes du MPR. Tous les Zaïrois deviennent des « citoyens », Mobutu étant le « citoyen Président-Fondateur ».
Le port du costume pour les hommes et du pantalon pour les femmes est sévèrement proscrit en faveur de nouveaux costumes nationaux : l’abacost et le pagne.
Les Zaïrois sont également tenus d’abandonner leur nom chrétien pour adopter des noms zaïrois qu’ils doivent ajouter à leur patronyme. Joseph-Désiré Mobutu est ainsi transformé en 1972 en Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa za Banga ou « le guerrier qui va de conquête en conquête sans avoir peur ». Cette mesure pose évidemment d’énormes soucis administratifs tant et si bien qu’en 1990, Mobutu décidera d’abandonner cet usage.
Mais ce recours à l’authenticité prend aussi une dimension économique sans précédent par la zaïrianisation des entreprises appartenant aux étrangers et décidée en novembre 1973. Avec la zaïrianisation, la plupart des commerçants étrangers quittent le pays, ce qui déstructure rapidement le système d’approvisionnement du pays. En quelques années l’économie zaïroise s’effondre littéralement.
En 1976, le pouvoir lance alors le Plan Mobutu censé retrouver la croissance économique, notamment en rétrocédant les avoirs spoliés. Mais les entrepreneurs restent frileux. De plus, les détournements de fonds publics, la corruption généralisée et la dette extérieure qui croît, anéantissent tout effort de redressement économique.
Avec la signature entre 1981 et 1986 de plusieurs programmes d’ajustement structurel avec le FMI et ses restrictions budgétaires imposées, le secteur social, de l’éducation et de la santé ne sont pratiquement plus financés tandis que la population, qui subit de plein fouet ces restrictions économiques, sombre dans la pauvreté.
GUERRES DU SHABA et RÉFORME DE L’ÉTAT
Au mois de mai 1977, le sud du Shaba (Katanga) s’embrase, les ex gendarmes katangais venus d’Angola envahissent le pays. C’est le début d’une guerre qui durera 80 jours. A la suite des massacres des Occidentaux dans la région, les armées française et belge interviennent et volent au secours de Mobutu, avec l’appui d’armées africaines (Maroc, Tchad, Sénégal…).
A la suite de cette invasion, le Président Mobutu déclenche un processus de réforme de l’Etat. Dans son discours du 1er juillet 1977, il annonce la libéralisation du système politique.
En mars 1978, une nouvelle guerre se déclenche à partir de Kolwezi. Elle ne durera que six jours suite à l’intervention musclée de la légion française et des paras belges. Dès 1978, après les deux guerres du Shaba menées par le FNLC pour renverser le pouvoir en place, un revirement spectaculaire de la politique de Mobutu s’opère.
Désormais, Mobutu se désolidarise de la politique directe pour entamer une sorte de règne depuis sa résidence de Gbadolite, dans la province équatoriale. Il nomme un Premier Ministre et fait mine d’ouvrir le jeu démocratique à l’assemblée nationale, le système politique étant verrouillé par son parti, le MPR (Mouvement Populaire de la Révolution).
Il s’entoure d’une cour de fidèles et de courtisans qui bénéficient d’abord de ses largesses, ensuite s’imposent comme potentats locaux dans l’administration, l’industrie, dans l’armée avec l’aval du chef, ce qui lui permet d’asseoir son pouvoir sur la corruption généralisée et sur le principe des personnes redevables au système incarné par Mobutu lui-même.
Toutes les entreprises d’état sont dirigées par des fidèles qui puisent largement dans les caisses pour s’enrichir individuellement au détriment de l’intérêt national. Mais l’autre pilier du mobutisme, c’est l’armée et la sécurité.
Entre 1970 et 1978, l’armée nationale congolaise, qui est devenue entre-temps « Forces Armées Zaïroises » (FAZ), est réorganisée et restructurée. En 1975, est créée la Division Kamanyola dont la mission est la protection du « Guide » de la nation.
DÉCHÉANCE DU RÉGIME MOBUTU
A la fin de la décennie 1980, les relations internationales sont marquées par les conséquences de la Perestroïka initiée en 1985 en URSS par Michaël Gorbatchev. A l’Est, la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 prélude la fin du communisme qui débouche sur la désintégration de l’URSS et de l’empire soviétique.
A l’Ouest, l’Allemagne est réunifiée et les Etats-Unis se retrouvent comme seule superpuissance mondiale. L’ordre international qui s’instaure s’articule désormais sur le triangle Europe-Japon-Etats-Unis.
En Afrique, pour les dictatures qui survivaient jusque là grâce à la protection octroyée par les antagonistes de la guerre froide, c’est désormais le temps de la démocratisation.
De par sa position géostratégique et du rôle qu’il a joué dans la confrontation Est-Ouest, le Zaïre ne pouvait échapper à cette nouvelle configuration du monde. Mais le Président Mobutu refuse de se rendre à l’évidence et feint de ne pas voir le mouvement devenu irréversible en faveur du changement. Il déclare devant le corps diplomatique à Kinshasa début 1990 que la Perestroïka ne concerne pas le Zaïre.
Cependant, l’impulsion de la rue est telle que le 14 janvier 1990, le Président Mobutu annonce sa volonté d’organiser un large débat national sur le fonctionnement des institutions politiques de la 2ème République. Ce débat débouchera sur la dénonciation de son régime caractérisé par le parti-état, le MPR, et la confiscation des biens et richesses du pays par ce dernier au détriment du peuple congolais engoncé dans la misère la plus totale. Commence alors une longue période de transition.
CONFÉRENCE NATIONALE SOUVERAINE
La consultation populaire lancée à travers le pays révèle l’échec du régime Mobutu et son rejet absolu par la population. Le 24 avril 1990, le chef de l’Etat est forcé d’annoncer la fin du parti unique et l’avènement de la démocratie. Les opposants politiques sont libérés, la presse recouvre sa liberté et plus de trois cents partis politiques sont créés.
Après plusieurs manœuvres politiciennes entre les tenants du régime et les autres forces du changement, la Conférence nationale souveraine s’ouvre le 7 août 1991. Elle est censée définir les grandes orientations politiques et économiques du pays. Environ 1 500 délégués sont invités à prendre part aux travaux de la Conférence au Palais du peuple à Kinshasa, travaux qui sont retransmis dans la presse et à la télévision. Monseigneur Laurent Monsengwo, archevêque de Kisangani (et actuel cardinal) est nommé président de la Conférence.
En septembre 1991, le pays connaît parallèlement une vague de violence et de pillages sans précédent. A l’origine : la dégradation totale des conditions de vie de la population. A Kinshasa d’abord, dans le reste du pays ensuite, les militaires mais aussi des dizaines de milliers de civils se mettent à piller les usines, commerces et résidences, démolissant pratiquement toute l’infrastructure économique du pays. De nombreuses entreprises ferment, la plupart des commerçants installés depuis plusieurs générations au Congo quittent le pays et abandonnent leurs entreprises et exploitations détruites. En novembre 1991, Mobutu nomme Nguza Karl-i-Bond Premier Ministre qui s’empresse de suspendre la Conférence Nationale.
La population réagit avec la « marche de l’espoir » pour la reprise des travaux. Le rassemblement pacifique est réprimé dans le sang le 16 février 1992. Le 20 juillet, sous la pression de Mgr Monsengwo, la Conférence rouvre ses portes et le 4 août 1992, elle adopte un projet de nouvelle constitution qui prévoit une période de transition de 24 mois au terme de laquelle de nouvelles institutions démocratiquement élues seront mises en place. Le 15 août, Etienne Tshisekedi est élu Premier Ministre.
Fin janvier 1993, une nouvelle vague de pillages frappe une fois encore le pays. Plus localisée et essentiellement menée par les militaires, elle accentue une fois encore l’état de délabrement total du Congo. Durant cette nouvelle vague de pillages, l’Ambassadeur de France, Philippe Bernard, est tué. En mars 1993, Mobutu limoge Etienne Tshisekedi pourtant élu souverainement.
Deux tendances s’affrontent désormais et le pays dispose de deux gouvernements : l’un issu de la Conférence nationale, l’autre imposé par les forces alliées à Mobutu. En janvier 1994, sous les auspices de l’ONU, un compromis est signé entre les deux parties et le 9 avril, le Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (HCR-PT) est mis en place avec à sa tête Mgr Monsengwo. En juin, le Parlement élit Kengo wa Dondo Premier Ministre. Mais la transition n’aboutit pas et le pays s’enfonce dans des luttes intestines de pouvoir. Mobutu, affaibli politiquement et physiquement par un cancer de la prostate, s’exile dans sa résidence de Gbabolite au nord du pays, où il n’exerce plus qu’un pouvoir de fonction sans vision ni cohérence.